Palme d’or audacieuse pour ‘Titane’, de Julia Ducournau

VICENÇ BATALLA | L'actrice Agathe Rousselle, la cinéaste Julia Ducournau et l'acteur Vincent Landon, dans la salle de presse avec la Palme d'or pour Titane
VICENÇ BATALLA | L’actrice Agathe Rousselle, la cinéaste Julia Ducournau et l’acteur Vincent Landon, dans la salle de presse avec la Palme d’or pour Titane

VICENÇ BATALLA. La cinéaste française Julia Ducournau, avec le dispositif fantastique Titane, a remporté la deuxième Palme d’or de l’histoire à être décernée à une femme dans un palmarès contradictoire, mais qui restera dans les mémoires pour ce choix audacieux. Titane est l’histoire d’une jeune fille (la splendide Agathe Rousselle) qui, enfant, s’est fait poser une plaque de titane dans le crâne après un accident de voiture et qui se consacre désormais au strip-tease dans des salons de tuning automobile, où elle exerce une attraction particulière sur le public. La suite est une course, entre ses actes criminels et la rencontre avec celui qui finit par devenir son père de substitution (un méconnaissable Vincent Lindon), et avec une grossesse qui entretient l’atmosphère monstrueuse de tout le film avec ce croisement entre homme et machine.

Au-delà des expectatives de partisans et détracteurs, il ne semblait pas que ce deuxième long métrage de Ducournau (Paris, 1983) devait escalader jusqu’à le premier prix. Cela a probablement été influencé par le fait que, bien que présidé par Spike Lee, le jury était majoritairement composé de femmes. Et c’est étonnamment la deuxième Palme d’or non attribuée à un homme depuis que Jane Campion a remporté la première pour La leçon de piano en 1993. Nous aurions préféré que le prix revienne à Mia Hansen-Love, également française, pour Bergman Island, car il s’agit d’un film plus solide, d’une cinéaste ayant, pour l’instant, une plus longue carrière. Il est étrange qu’il ne figure même pas dans la liste des lauréats.

Après avoir reçu le prix des mains de l’actrice Sharon Stone, Ducournau a remercié le jury d’avoir « laissé entrer les minorités en récompensant son film ». Dans notre critique de sa présentation, nous avons dit que le film était inégal, tant au niveau de l’intrigue que des relations entre les personnages. Et que c’est comme si David Cronenberg avait voulu faire une suite à son magnifique Crash (1996). Malgré cela, nous avons été impressionnés par son audace dans le paysage cinématographique français actuel, qui ne se laisse guère porter par les films de genre pour les transcender.

CAROLE BETHUEL | Agathe Rousselle, elle-même journaliste, dans le difficile rôle de la strip-teaseuse dans Titane, de Julia Ducournau
CAROLE BETHUEL | Agathe Rousselle, elle-même journaliste, dans le difficile rôle de la strip-teaseuse dans Titane, de Julia Ducournau

Un jury qui, lors de la remise des prix, a donné lieu à quelques moments comiques, comme lorsque Lee a annoncé par erreur la Palme d’or dès le début. Quand nous disons que la sélection du palmarès est contradictoire, nous le faisons parce qu’un grand film comme Drive my Car, du japonais Ryusuke Hamaguchi, n’a remporté que le Prix du meilleur scénario. Hamaguchi lui-même a rappelé qu’il s’était inspiré d’une nouvelle de Haruki Murakami. L’autre décision incompréhensible est de faire partager le Prix du jury (une sorte de Palme de bronze) ex aequo par Memoria, tourné en Colombie par le thaïlandais hors catégorie Apichatpong Weerasethakul, et le plutôt indigeste Le genou d’Ahed, de l’israélien Nadav Lapid.

Le Grand prix (la Palme d’argent) a également été partagé entre le délicat Compartiment No. 6 du finlandais Juho Kuosmanen et le plus prévisible Un héros du réalisateur iranien Asghar Farhadi. Parmi les plus grands titres de la compétition, seule la comédie musicale Annette de Leos Carax a finalement remporté le Prix du meilleur réalisateur. Curieusement, Carax n’est pas venu chercher le trophée, mais les frères Ron et Russell Mael, membres du groupe vétéran Sparks et auteurs du livret et des compositions, l’ont fait. Le geste de Carax de leur céder le devant de la scène était très élégant. En revanche, le dispositif quasi parfait de The French Dispatch de Wes Anderson n’a rien donné, peut-être parce qu’une telle perfection devient intimidante. À l’opposé, le film Benedetta de Paul Verhoeven et l’imparable Virginie Efira sont également partis les mains vides, et pourtant cela aurait pu aller dans la ligne de récompenser ce qui est politiquement incorrect car le réalisateur remet en cause les tabous du passé et du présent.

Quant aux interprétations, deux films émergent à la surface, dont l’un au moins méritait clairement d’être primé. Julia (en douze chapitres) de Joachim Trier, pour lequel la norvégienne Renate Reinsve a remporté le Prix de la meilleure actrice. Celui de la meilleure interprétation masculine a été attribué à Caleb Landry Jones, qui porte le poids de l’ingrat Nitram de Justin Kurzel. Avec cette nouvelle victoire, Landry Jones relance d’avantage sa carrière sur le circuit indépendant du cinéma et de la musique

Si un autre film manque au palmarès, c’est Haut et court du réalisateur marocain Nabil Ayouch. Bien qu’il s’agisse d’un témoignage frais et sincère de ces jeunes maghrébins qui veulent se défaire de leurs chaînes politiques, religieuses et sociales à l’aide du rap, il ne semble pas, du moins à cette occasion, que Lee ait eu suffisamment d’influence sur les autres membres du jury. Lors de la cérémonie de remise des prix, une Palme d’or d’honneur a également été décernée au cinéaste italien Marco Bellocchio (Bonnio, 1939), qu’il a reçue de son compatriote Paolo Sorrentino. Une cérémonie qui, malgré les maladresses de Lee (jusqu’à trois fois), a en quelque sorte reflété ce monde qui se dit post-pandémique mais qui nous réserve encore bien des surprises.

PALMARÈS CANNES 2021

Palme d’or : Titane, de Julia Ducournau (France)

Grand prix (ex-aequo) : Garheman (Un héros), de Asghar Farhadi (Iran) / Compartiment No. 6 de Juho Kuosmanen (Finlande)

Prix du jury (ex-aequo) : Memoria, d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande/Colombie) / Le genou d’Ahed, de Nadav Lapid (Israël)

Prix de la mise-en-scène : Annette, de Leos Carax (France)

Prix du scénario : Drive my Car, de Ryusuke Hamaguchi (Japon)

Prix d’interprétation féminine : Renate Reinsve pour Julia (en douze chapitres) de Joachim Trier (Norvège)

Prix d’interprétation masculine : Caleb Landry Jones, pour Nitram de Justin Kurzel (Australie)

Caméra d’or (meilleur premier film toutes sections confondues) : Murina, d’Antoneta Alamat Kusijanović (Croatie), présenté à la Quinzaine des réalisateurs

Meilleur court métrage : Tous les corbeaux du monde, de Tang Yi (Hong Kong)

Mention spéciale court métrage : Le ciel du mois d’août, de Jasmin Tenucci (Brésil/Islande)

UN CERTAIN REGARD

Un Certain Regard : Les poings desserrés, de Kira Kovalenko (Russie)

Prix du jury : Grosse freiheit, de Sébastien Meise (Autriche)

Prix d’ensemble : Bonne mère, de Hafsia Herzi (France)

Prix de l’audace : La civil, Teodora Ana Mihai (Roumanie/Belgique)

Prix de l’originalité : Lamb, de Valdimar Jóhansson (Islande)

Mention spéciale : Noche de fuego, de Tatiana Huezo (Mexique)

LA QUINZAINE DES RÉALISATEURS

Prix SACD : Les Magnétiques, de Vincent Maël Cardona (France)

SEMAINE LA CRITIQUE

Grand prix : Feathers, d’Omar El Zohairy (Égypte)

* Toutes les chroniques du Festival de Cannes 2021

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