VICENÇ BATALLA. Pas de projections publiques dans le Campo Santo, pas de rencontres dans l’auditorium du Palais des congrès, un peu moins d’expositions et presque toutes concentrées sur le couvent des Minimes et l’église des Dominicains et moins présence de photographes internationaux·les in situ, mais le Visa pour l’image de Perpignan 2020 aura bien lieu du 29 août au 27 septembre. Le pandémie du coronavirus n’a pas endigué la célébration de cette 32 édition dans la ville catalane qui a adapté l’organisation aux aléas sanitaires avec l’accès gratuit en ligne des expositions jusqu’à le 30 septembre et de rencontres virtuels de ses auteur·trices.
L’actualité de la Planète en fait plus nécessaire que jamais ces images quand la mobilité est forte réduite mais les conflits, les violences et les injustices ne s’arrêtent pas. Du Covid-19 aux manifestations anti-racistes aux États-Unis, du mouvement à Hong-Kong contre la mainmise chinoise aux sinistres effets de l’homme sur l’environnement, en passant par la vision sur l’Afrique du vainqueur du World Press Photo, le rendez-vous du photojournalisme témoigne une année de plus de l’état du monde. Avec une cohabitation, d’ailleurs, avec une mairie d’extreme-droite récemment élue. Panoramique, avec cliché cas par cas, de chacune de ces vingt expositions.
Le coronavirus continue d’hanter les spirits et conditionner toutes les activités publiques. Le Visa pour l’image 2020 ne pouvait pas n’en faire une de ses expositions collectives Pandémie(s), avec plus de cinquante photographes de tout le monde qui reflètent comment ce virus invisible s’est propagé aux quatre coins de la Planète jusqu’à provoquer une crise sanitaire, sociale et économique encore difficile à percer. Le photographe Peter Turnley (43 couvertures pour le Newsweek), obligé cette fois-ci de rester immobile, a capté en noir et blanc la vie arrêté dans sa ville dans Le visage humain du Covid-19 à New York. Entre les photographes choisis pour la collective, il y a l’espagnol Luis Tato déjà présent à Perpignan il y a deux ans. Et dans l’exposition annuelle de la presse quotidienne internationale, on trouve Ferran Nadeu, de El Periódico de Catalunya, et Cristóbal Castro, du site El Món Terrassa, autour de la pandémie dans ses villes catalanes.
L’autre exposition collective pour l’occasion c’est I can’t breath, sur les manifestations anti-racistes partout aux États-Unis après la mort de l’afro-américain George Floyd à Minneapolis en avril dernier a asphyxie sous les genoux d’un policier. Y participent photographes de Los Angeles times, The Sacramento bee, The New York times et The Washington post.
Deux expositions sur la révolte des hongkongais
De son côté, les protestes à Hong-Kong contre le contrôle politique et la répression de la Chine qui se tiennent depuis l’été 2019 méritent deux expositions individuelles. D’abord, Les contestataires de Nicole Tung née dans l’ancien colonie britannique et qui avait passé une dizaine d’années suivant des conflits au Moyen-Orient. Ensuite, Points de vue opposés du londonien Anthony Wallace qui couvre les événements hongkongais depuis quatre ans et demi et son poste de photographe en chef dans le bureau local de l’AFP. Ses images des violences policières et résistance des jeunes ont reçu le Prix de la ville de Perpignan Rémi Ochlik.
L’Afrique du World Press Photo
L’auteur de la photo de l’année World Press Photo, le japonais Yasuyoshi Chiba, développe dans L’Afrique de Chiba son oeil sur le continent depuis son poste de photographe en chef de l’est africain dans l’AFP cette fois-ci depuis Nairobi. Titrée Straight voice (Voix ferme), l’instantanée couronné en 2020 montre un jeune soudanais récitant une poésie de combat entouré de la lumière des portables de tous ses copains en juin 2019. Une mobilisation pacifique qui a réussi à faire tomber le dictateur Omar al-Bashir et à permis un accord avec les militaires pour essayer d’établir une démocratie dans le pays. “L’Afrique m’a offert un parfait terrain d’apprentissage pour devenir un tout autre photographe”, admets Chiba dans le texte d’intention de l’exposition où il ajoute que “la notion du temps ou de l’engagement y était différente, et il était normal que les choses ne se passent pas toujours comme prévu”.
Cette photo au Sudan et toutes les autres primées du World Press Photo 2020 on peut les voir jusqu’à fin novembre à l’église De Nieuwe Kerk d’Amsterdam, et en parallèle il y a en marche une tournée mondiale qui passe en octobre par Vitoria-Gasteiz et Valence et sera à Barcelone du 10 novembre au 13 décembre au Centre de Cultura Contemporània de Barcelone (CCCB).
De soulèvements pacifiques dans des endroits où on ne s’attendait pas en est témoin l’exposition Irak : cent jours de ‘thawra’, de la française Émilienne Malfato, qui a couvert les protestes depuis octobre 2019 pour dénoncer un système gangrené par les ingérences étrangères et corrompu et qui utilise les rivalités religieuses pour se perpétuer. Précisément, le mot thawra veut dire révolution.
La violence à Guerrero et l’eau à Cuba
Dans tout un autre continent et un autre type de violence, l’italien Alfredo Bosco a ausculté pendant des années la réalité de l’État mexicain de Guerrero, dans le sud-ouest du pays. D’abord un projet personnel et puis une commande pour Le Figaro magazine, Guerrero, l’État oublié parcoure une des zones le plus dangereuses du Mexique, rien à envier aux régions frontalières avec les États-Unis. Le territoire jadis paradisiaque d’Acapulco s’est converti dans le plus grand champ de pavot du pays. Et avec ça les cartels de la drogue et d’autres organisations criminelles y ont afflué et se disputent le butin. En 2018, 874 personnes y étaient assassinées; un record sûrement dépassé en 2019 et qui le sera en 2020. Comme réaction, de groupes d’autodéfense armés formés par les populations locales sont apparus et morcellent encore plus le paysage. Le travail a été récompensé par le Visa d’or humanitaire de la Croix-Rouge.
À Cuba, l’allemande Sanne Derks qui avait étudié le photojournalisme dans l’Université Autonome de Barcelone, prends l’article 76 sur le droit à l’eau de la nouvelle Constitution de 2019 pour souligner toutes les contradictions du régime et ce louable souhait : changement climatique, infrastructures vieillissantes, impact de l’embargo américain… Manifiesto del agua relève comment la population doit utiliser l’imagination pour accéder à l’eau et comment une armada de camions-citernes sont obligés de livrer les nombreux quartiers sans réseau de distribution.
Populations en détresse en Inde, Pakistan et Haut-Karabakh
Ce même changement climatique est en train d’appauvrir encore plus l’Inde avec de saisons de moussons de plus en plus déréglés. Dans Sécheresse et déluge en Inde, l’américain Brian Denton en donne la preuve avec des images des inondations meurtrières d’un côté et d’extrême sécheresse de l’autre. Pas seulement dans le centre plus aride du pays, mais aussi pas loin de New Delhi dans un travail pour le The New York times.
Toujours en Inde et dans les États de Maharashtra et Karnataka, la française Chloé Sharrock s’intéresse dans Sugar girls au scandale des femmes coupeuses de canne à sucre qui sont victimes d’hystérectomies de la part de ses patrons et de médecins privés pour faire des profits (600 euros l’opération). Les révélations sont apparues en mai 2019 et, malgré les dénonces, des milliers des femmes continuent condamnés à être stérilisées à cause de sa forte précarité.
Dans Les derniers des Mohana (le peuple oiseau), l’aussi française Sarah Caron suive ce peuple pêcheur riche de 5.000 ans au Pakistan qui voit sa survie menacée. Ils ne restent qu’une poignée à habiter dans le dernier village flottant du lac Manchar, au sud de la vallée de l’Indus. Depuis 2018, Caron y séjourne six mois par an et a publié le reportage au Figaro magazine pour alerter des déchets industriels qui empoisonnent les eaux du lac et ruinent l’écosystème naturel et humain.
Dans le disputé Haut-Karabakh, république autoproclamée à la majorité arménienne dans le territoire de l’Azerbaïdjan au Caucase, on encourage la démographie autochtone avec l’attribution d’une maison à la naissance du cinquième ou sixième enfant. L’arménienne Anush Babajanyan décrypte dans Une terre troublée ces familles nombreuses, qui vivent dans une région soumise à une tension permanente entre ces deux anciens républiques soviétiques malgré le cessez-le-feu de 1994.
Catastrophes écologiques en mer, Amazonie, Canada et Sicile
Le photographe américain installé à Tokyo James Whitlow Delano élargi l’enquête sur les déchets industriels et donne à connaître en images les huit millions de tonnes de plastique par an qui finissent dans nos océans. Une étude en 2015 pointait que 90% des oiseaux marins ingèrent du plastique et de plus en plus meurent de faim par la perte du zooplancton et la cassure de la chaîne alimentaire. Delano est allé à Chennai, en Inde, Manila, aux Philippines, ou aux mines du Pérou pour illustrer son travail Une planète noyée dans le plastique. C’est lui qui a fondé en 2015 sur Instagram le EverydayClimateChange (ECC), où des photographes de tous les continents y documentent des catastrophes écologiques.
Un exemple frappant c’est la déforestation de l’Amazonie à cause des incendies et l’intervention coupable de l’homme par de politiques de destruction de la végétation à la faveur des exploitations agricoles et minières et en détriment des populations indigènes qui avaient préservé cet équilibre. Le brésilienne Victor Moriyama, pour The New York Times, est l’auteur de La déforestation de l’Amazonie où il retrace la dramatique diminution de la forêt tropicale et l’augmentation de la culture intensive devant l’impuissance des indiens.
Pareil au Canada, même si on en parle moins, autour des sables bitumineux dans les réserves des peuples autochtones à Fort Chipewyan, en Alberta. C’est la plus vaste et la plus destructrice des extractions pétrolières au monde. Le canadien Ian Wilms rappelle dans Tant que le soleil brillera que le traité colonial de 1899 entre la reine Victoria et les 39 communautés des Premières Nations leur impose à jamais céder ses terres au nom du progrès. Le résultat est tout type de maladies qui sont en train de décimer ces Premiers Nations.
Mais sans aller si loin, le pôle pétrochimique d’Augusta-Priolo, dans la côte sicilienne de Syracuse, pollue de manière endémique. La russo-française Elena Chernyshova dans Sacrifice montre cet énorme complexe qui assure 34% des produits pétroliers italiens, mais depuis 1958 déverse 500 tonnes de mercure chaque année dans la baie d’Augusta. Le taux de mortalité par cancer du sein dans la région a augmenté à 30% en 1980, les malformations congénitales ont atteint 6% en 2000 et les avortements sont quatre fois plus élevés que dans le reste du pays. On estime que 18 millions de mètres cubes de boues toxiques se sont accumulés au fond de la baie pendant tout ce temps.
Le langage des loups et la solitude des femmes en prison
À guise de contraste avec ces derniers reportages, l’américain Ronan Donovan dans Au plus près des loups dans l’Extrême-Arctique explore les loups blancs du parc de Yellowstone comme de prédateurs moins dangereux que l’homme. Durant un an, Donovan a suivi pour le National Geographic ces familles des loups qui possèdent un langage à eux plus sophistiqué que les légendes qu’on leur colle. Et qui ont fini pour s’habituer à la présence humaine.
Les femmes sont les protagonistes de Dehors, de la française Axelle de Russé, sur la population carcérale féminine en France et sa difficile adaptation à la sortie. En octobre 2019, elles représentaient 2.485 du total des personnes dans les prisons du pays, (le 3,5%). Mais elles sont fort isolées parce qu’il n’y a que quatre centres pour femmes en France, et trois d’eux concentrés dans le nord. Quasiment 100% des détenues ont été victimes de violences (enquête de 2003), et 65% des libérées retournent en prison dans les cinq ans. Ce qui démontre l’échec du système. De Russé a suivi Magalie, Adeline, Rahmouna et Laura, avec de sorts diverses, et lesquelles a rencontré à partir le documentaire Femmes en peines, d’Arnaud Selignac. Le reportage est un portrait des quatre et un plaidoyer pour qu’elles ne restent invisibles.
Visites physiques et virtuels
Ces vingt expositions on pourra les visiter personnellement au couvent des Minimes et l’église des Dominicains, en plus de la caserne Gallieni tout près, avec un nombre limité de spectateurs en même temps. Elles resteront ouvertes du 29 août au 13 septembre, ainsi que le week-end du 19 et 20 septembre. Alors que le week-end du 26 et 27 seront maintenues celles du couvent des Minimes. Du 14 au 18 septembre et du 21 au 25 septembre, le tour sera pour les groupes scolaires.
Un tiers des photographes exposé·es seront présents à Perpignan. Et, même si cette année les rencontres et les échanges sont virtuelles (en podcast et/ou sur YouTube), les photographes qui auront pu se déplacer feront de visites programmées pour commenter les images. Et pour une plus grande diffusion, du 29 août au 30 septembre le site de Visa pour l’image permettra de parcourir ces images depuis internet.
Il n’y aura pas les traditionnelles et attendues soirées de projections à l’aire libre dans le Campo Santo, mais du 31 août au 6 septembre ces projections quotidiennes qui racontent l’actualité de l’année et qui sont complétées par de grands reportages tourneront en boucle à la chapelle de La Funeraria pendant la journée avec une jauge de cent personnes maximum par séance. Simultanément, chaque jour une dizaine de reportages seront mis en ligne du 10 heures à 14 heures le lendemain. Et le week-end du 19 et 20 septembre, les projections seront à La Villette de Paris.
La crise sanitaire empêche la remise physique des prix Visa d’or. En fait, elle empêche le remerciement du public avec ses applaudissements, les interventions des primé·es et les possibles surprises de tout direct. La même actualité de la journée provoque des intros et commentaires caustiques de sa voix grave du directeur du festival, Jean-François Leroy. Mais le Visa pour l’image n’a pas oublié dans cette édition de rendre hommage dans un des ses reportages au photographe américain Paul Fusco, auteur des images mythique de la population attendant aux bords le passage du train avec les dépouilles de Robert F. Kennedy en 1968 en direction Washington et qui disparut le 15 juillet dernier.
VISA D’OR NEWS 2020
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