Des photographies contre le négationniste

MARK PETERSON/REDUX PICTURES | Un membre du groupe d'extrême droite Proud Boys lors d'un rassemblement à Washington, D.C., dans le cadre de l'exposition de Mark Peterson sur le néofascisme aux États-Unis Le passé n'est jamais mort à Visa pour l'Image 2023
MARK PETERSON/REDUX PICTURES | Un membre du groupe d’extrême droite Proud Boys lors d’un rassemblement à Washington, D.C., dans le cadre de l’exposition de Mark Peterson sur le néofascisme aux États-Unis Le passé n’est jamais mort à Visa pour l’Image 2023

VICENÇ BATALLA. A l’heure où certaines campagnes électorales se gagnent à coup de fake news, accompagnées de fake photos, le travail des journalistes et photojournalistes est plus que jamais nécessaire. C’est l’objectif d’une nouvelle édition de Visa pour l’Image 2023 à Perpignan, du 2 au 17 septembre. Une 35e édition que son directeur, Jean-François Leroy, place sous le défi des nouveaux programmes d’intelligence artificielle. Mais Leroy y voit l’occasion de relancer la profession. « Ce besoin et cette envie de réalité vont désormais rendre les émetteurs d’informations vérifiées et authentiques encore plus indispensables qu’ils ne l’étaient déjà », affirme-t-il dans la présentation de cette année, écartant les craintes de disparition du photojournalisme et invitant les médias à continuer d’investir dans ce travail d’investigation.

En entête, nous avons choisi la photographie de l’Américain Mark Peterson qui montre un rassemblement du groupe d’extrême droite Proud Boys, né en 2016 et qui a été l’un de ceux qui ont contribué à la victoire de Donald Trump lors de l’élection présidentielle de 2017. Sur l’image prise lors d’une de leurs manifestations à Washington, l’un de leurs membres arbore un maillot sur lequel on peut lire Stand back, stand by, l’un des messages utilisés par Trump lors de la campagne suivante de 2020 et qui, d’une certaine manière, a béni l’assaut ultérieur contre le Capitole le 6 janvier 2021. Avec une photographie de cette série sur les groupes néofascistes dans son pays, exposée sous le titre Le passé n’est jamais mort, Peterson a remporté le troisième prix World Press Photo 2020 de l’image contemporaine en 2020, montrant cinq jeunes hommes sur un yacht sur un lac de l’Arkansas avec la croix gammée et faisant le salut nazi le 19 avril, jour de l’anniversaire d’Hitler.

De la disparition des îles à l’assèchement des rivières  

SANDRA MEHL | L'île de Jean-Charles dans le delta du Mississippi, qui depuis 1955 a perdu 95 % de ses terres à cause de la montée des eaux, sur une photo de 2017
SANDRA MEHL | L’île de Jean-Charles dans le delta du Mississippi, qui depuis 1955 a perdu 95 % de ses terres à cause de la montée des eaux, sur une photo de 2017

Entre autres négationnistes, ces groupes d’extrême droite affichent celui du changement climatique. Et justement, l’actuel Visa pour l’Image programme une dizaine d’expositions sur la crise climatique sur un total de 24, y compris l’exposition collective de la presse quotidienne internationale. L’une d’entre elles, tout à fait significative, est Louisiane : les premiers réfugiés climatiques des Etats-Unis. L’île de Jean-Charles, à 130 kilomètres au sud de la Nouvelle-Orléans, est en train de disparaître de manière irréversible. À cause de la montée des eaux, de l’érosion côtière et des ouragans de plus en plus fréquents. Mais aussi à cause des 4 000 plateformes pétrolières du golfe du Mexique et de leurs milliers de kilomètres de canaux d’approvisionnement qui engloutissent les terres, malgré la catastrophe de Deepwater Horizon en 2010. Sous la présidence de Barack Obama, le gouvernement fédéral a approuvé la relocalisation des 500 habitants de Jean-Charles vers une ancienne plantation de canne à sucre située à 70 kilomètres au nord. Ce n’est qu’à la fin de l’année 2022 que les premiers habitants ont pu commencer à s’installer, alors qu’il ne reste de l’île que 3 kilomètres de long et 300 kilomètres de large. Dans cinquante ans, leur île aura complètement disparu. Tout comme l’équivalent d’un terrain de football s’enfonce chaque heure dans le delta du Mississippi. L’auteur du reportage est la Française Sandra Mehl, qui a fait des aller-retours pendant sept ans à Jean-Charles.

L’autre extrême climatique est le manque d’eau. Le vétéran anglais Ian Berry de l’agence Magnum documente ce problème dans Water dans différents points de la planète. Surtout en Asie, en Afrique et en Amérique latine. Dans le texte de son exposition, il rappelle que 200 millions de personnes dans les zones rurales consomment de l’eau contaminée par l’arsenic. Et que les océans sont acidifiés par toutes les substances toxiques déversées par les zones urbaines, les usines et les exploitations agricoles. De plus, des grandes villes comme Pékin, Mexico, Lima, Buenos Aires ou Dhaka risquent d’assécher complètement leurs aquifères, sachant que l’eau douce ne représente que 2,5 % de l’eau de la Terre.

EMILY GARTHWAITE/INSTITUTE/PRIX DE LA VILLE DE PERPIGNAN RÉMI OCHLIK 2023 | En été, avec des températures pouvant dépasser les 50 degrés en Irak, les éleveurs n'ont d'autre choix que de faire refroidir leurs moutons dans le Tigre
EMILY GARTHWAITE/INSTITUTE/PRIX DE LA VILLE DE PERPIGNAN RÉMI OCHLIK 2023 | En été, avec des températures pouvant dépasser les 50 degrés en Irak, les éleveurs n’ont d’autre choix que de faire refroidir leurs moutons dans le Tigre

Emily Garthwaite, également britannique, dans Didjla : voyage le long du Tigre, parcourt à la fois le long de ce fleuve en Irak et de son affluent, l’Euphrate, dans un bassin où vivent 30 millions de personnes et qui a façonné des villes historiques depuis l’ancienne Mésopotamie, comme Mossoul, Samarra, Bagdad et Bassorah. Didjla est le nom arabe du Tigre et la photographe a d’abord effectué le pèlerinage de l’Arbaïn en 2017, entre les villes saintes chiites de Nadjaf et Kerbala, à travers l’Euphrate, puis en 2019, négociant avec les forces de sécurité et les milices de Turquie, de Syrie et d’Irak, elle a descendu les 1 900 kilomètres du Tigre pendant soixante-dix jours. « J’ai exploré la vie jusque dans ses marges, voyageant à travers des lieux de mémoire et de tragédie, et dans des zones de désastre environnemental, à la recherche d’un refuge, d’un renouveau, dans l’espoir de voir ce qui a été perdu et ce qui a survécu« , explique-t-elle à propos de son reportage coproduit par l’ONG CCFD-Terre Solidaire et qui a remporté cette année le prix Rémi Ochlik de la ville de Perpignan.

Sans eau, nous mourrons est le titre expressif de l’exposition d’un autre Anglais, Giles Clarke. Dans son cas, il se concentre sur la Somalie, un pays qui a subi trois décennies de violence de la part d’extrémistes et cinq années consécutives de sécheresse. En 2022, 1,4 million de Somaliens des régions les plus touchées du centre ont dû se rendre dans des camps de réfugiés pour trouver de l’eau et de l’aide humanitaire. La famine a été exacerbée par le blocus des exportations de céréales, le pays dépendant à 90 % des exportations de la Russie et de l’Ukraine. Selon les estimations de l’ONU, quelque quatre millions de têtes de bétail sont mortes et la sécheresse devrait encore s’aggraver en 2023 : 8 millions de personnes – la moitié de la population – sont en situation d’insécurité alimentaire, dont 1,8 million d’enfants de moins de cinq ans. Les images de ce reportage pour le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies et du New York Times parlent d’elles-mêmes.

Charbon, pesticides, humains et animaux en danger

PASCAL MAITRE/MYOP | Dans un village cambodgien, Chong Da, dans le district de Santuk, ses habitants produisent du charbon de bois dans plus d'une centaine de fours en terre
PASCAL MAITRE/MYOP | Dans un village cambodgien, Chong Da, dans le district de Santuk, ses habitants produisent du charbon de bois dans plus d’une centaine de fours en terre

Le Français Pascal Maitre, après des reportages impressionnants les années précédentes sur le Niger, passage dangereux pour les réfugiés subsahariens, et sur les conséquences de la pandémie mondiale pour les réfugiés, s’attaque cette fois au Charbon de bois : l’or des pauvres, pour Le Figaro Magazine et Paris Match. L’idée lui est venue lors d’une visite en Somalie en 2002, quand il a vu des rangées de camions transportant des arbres, qui sont utilisés pour fabriquer du charbon de bois pour les foyers car c’est la source d’énergie la moins chère. Mais aussi pour l’exportation, car 2,5 milliards de personnes dans le monde dépendent de ce charbon. C’est pourquoi la milice islamiste somalienne Al-Shabab contrôle ce commerce vers les pays du Golfe depuis 2008, malgré une interdiction de l’ONU depuis 2012. Et ce n’est pas le seul cas de financement de groupes armés puisque les Forces démocratiques de libération du Rwanda, qui contrôlent le commerce dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), avec le parc national des Virunga, en profitent également. En RDC, un demi-million d’hectares de forêt sont détruits chaque année pour cette raison, et dans la capitale Kinshasa, qui compte 15 millions d’habitants, 95 % des ménages cuisinent au charbon de bois. Selon des études scientifiques, près d’un quart des décès en Afrique subsaharienne sont dus à la pollution de l’air et, si rien n’est fait, d’ici 2030, la moitié des émissions polluantes mondiales proviendront de ce continent. En effet, 700 millions de personnes en Afrique subsaharienne n’ont toujours pas d’électricité. Le problème s’étend à d’autres pays du continent asiatique, comme le Cambodge.

De l’autre côté de l’Atlantique, la pollution à Villa Guerrero, la principale ville de la floriculture du Mexique, à une centaine de kilomètres de la capitale, provient de la diffusion de pesticides et d’engrais dans l’air, le sol et l’eau. Elle est à l’origine de 12 % des pertes de grossesse et d’environ 20 % des malformations à la naissance. La crise sanitaire, qui touche également l’élevage, a été exacerbée par l’incapacité des autorités locales à empêcher l’utilisation de produits agro-chimiques et à fournir une assistance. Depuis 2020, le photographe local Cristopher Rogel Blanquet a documenté cette situation dans Sublime poison, en suivant la vie de cinq familles.

NICK BRANDT | Alice, Stanley et la rhinocéros Najin au Kenya en 2020, tous contraints de quitter leur habitat naturel
NICK BRANDT | Alice, Stanley et la rhinocéros Najin au Kenya en 2020, tous contraints de quitter leur habitat naturel

Depuis quarante ans, l’Américain James Balog prend des photos de la nature, mais aussi des effets dévastateurs actuels de l’homme. Son exposition Photographie de l’anthropocène est divisée en six sections : Survivants : Animaux ; Survivants : Arbres ; Terre altérée ; En feu ; Techno Sapiens ; Disparition glacière. L’une de ses particularités est de choisir des animaux, en principe sauvages, mais qui en réalité ne vivent pas à l’état sauvage, et de les photographier avec une structure de studio sur fond blanc. Dans Eléphants d’Asie : culture, protection, conflits et coexistence, le Sud-Africain Brent Stirton, un habitué du festival, suit leurs habitats dans des pays comme l’Inde et le Sri Lanka pour Getty Images et National Geographic. Dans son travail, il a constaté que 60 % des éléphants vivent en dehors des parcs naturels, à proximité des humains. Bien qu’il s’agisse d’une attraction touristique et qu’ils jouent un rôle important dans les pratiques religieuses, cette coexistence forcée provoque des conflits et des décès de part et d’autre. « J’ai observé le travail des chercheurs qui étudient la capacité des éléphants à résoudre des problèmes, ce qui leur permet de mieux comprendre chaque individu et ce qui, dans les comportements humains, pourrait être perçu par eux comme une menace« , explique M. Stirton dans sa présentation, qui évoque l’augmentation du nombre d’éléphants célibataires, le stress des femelles et les tactiques de survie qu’elles enseignent à leur progéniture.

Une autre proposition originale est The May Break, de l’Anglais Nick Brandt, qui, en 2020, au Zimbabwe et au Kenya, est parti à la recherche de personnes touchées par des sécheresses ou des inondations extrêmes et les a photographiées en compagnie d’animaux sauvages qui avaient eux aussi perdu leur environnement naturel. A l’aide d’une machine à fumée, ces instantanés brumeux symbolisent un monde en train de disparaître. Avec un deuxième chapitre, en 2022, réalisé en Bolivie.

Les routes meurtrières de l’immigration

MICHAEL BUNEL/LE PICTORIUM | Fulvia, coordinatrice des opérations à bord du Geo Barents de Médecins Sans Frontières, donne des instructions à une embarcation surchargée de migrants avant de leur jeter des gilets de sauvetage. Nous sommes le 7 juillet 2022, et ce jour-là, le Geo Barents effectuera six sauvetages en moins de dix heures, un record
MICHAEL BUNEL/LE PICTORIUM | Fulvia, coordinatrice des opérations à bord du Geo Barents de Médecins Sans Frontières, donne des instructions à une embarcation surchargée de migrants avant de leur jeter des gilets de sauvetage. Nous sommes le 7 juillet 2022, et ce jour-là, le Geo Barents effectuera six sauvetages en moins de dix heures, un record
FEDERICO RÍOS ESCOBAR/VISA D'OR HUMANITAIRE DU COMITÉ INTERNATIONALE DE LA CROIX-ROUGE | Les migrants s'entraident pour traverser la rivière Tacarti, le moment le plus critique de cet itinéraire à travers le Panama, lorsqu'ils atteignent ce que l'on appelle le Bouchon du Daríen. Nombreux d'entre eux finissent par se noyer
FEDERICO RÍOS ESCOBAR/VISA D’OR HUMANITAIRE DU COMITÉ INTERNATIONALE DE LA CROIX-ROUGE | Les migrants s’entraident pour traverser la rivière Tacarti, le moment le plus critique de cet itinéraire à travers le Panama, lorsqu’ils atteignent ce que l’on appelle le Bouchon du Daríen. Nombreux d’entre eux finissent par se noyer

Associé aux guerres et au changement climatique, il y a le drame des réfugiés qui tentent de franchir les frontières pour rejoindre le premier monde au péril de leur vie. Le cas le plus choquant et le plus proche est celui des milliers d’immigrants qui sont morts ces dernières années en Méditerranée lors de cette traversée. L’exposition Rechercher, sauver et protéger, du Français Michael Bunel, présente le travail de substitution effectué par des ONG comme SOS Méditerranée, avec son navire Ocean Viking, ou Médecins Sans Frontières, avec le Geo Barents, et sur lequel l’auteur a embarqué pour assister à ces opérations de sauvetage lorsqu’elles arrivent à temps. Et puis l’odyssée pour débarquer les migrants avec des autorités européennes de plus en plus répressives quant à l’obligation de sauvetage en mer conformément aux conventions internationales des droits de l’homme. « Le gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni a voté en janvier 2023 un décret obligeant les navires humanitaires à rallier immédiatement un port de débarquement après chaque sauvetage« , explique Bunel dans le texte introductif, ajoutant que « ces ports désignés par les autorités italiennes sont de plus en plus éloignés des zones d’enquête » et « cela faire perdre du temps et de l’argent alors que les tentatives de traversée ne s’arrêtent pas« . Une situation, en général, qui a conduit depuis 2014, selon l’ONG Missing Migrants Project, à 28 071 migrants disparus en Méditerranée sur 58 394 dans le monde (au 31 août 2023).

Sur le continent américain, plus de 8 000 sont portés disparus dans leur tentative d’atteindre un jour les États-Unis. Le chemin de la dernière chance, du Colombien Federico Ríos Escobar, suit une autre route mortelle à travers la jungle de Daríen au Panama, également connue sous le nom du Bouchon du Daríen en raison de la difficulté de la traversée depuis la Colombie. En 2022, on estime que 250 000 migrants sont passés par là, dont 33 000 enfants. En 2023, ce nombre devrait atteindre 400 000. La grande majorité d’entre eux sont vénézuéliens, mais il y a aussi des migrants équatoriens, péruviens, cubains, haïtiens et même afghans, ce qui porte le total à 80 nationalités différentes. Le reportage a reçu le Visa d’or humanitaire de la Croix-Rouge internationale.

Ukraine, une guerre qui s’éternise

TYLER HICKS/THE NEW YORK TIMES | Une femme marche dans les ruines de Bakhmut, dans la province ukrainienne de Donetsk, assiégée par les troupes russes, le 6 décembre 2022
TYLER HICKS/THE NEW YORK TIMES | Une femme marche dans les ruines de Bakhmut, dans la province ukrainienne de Donetsk, assiégée par les troupes russes, le 6 décembre 2022

Un an et demi après le début de la guerre en Ukraine par la Russie, non seulement les positions sont restées retranchées depuis fin 2022, mais il n’y a pas d’issue immédiate au conflit. Le symbole en est la ville de Bakhmout,  dans la province de Donetsk, où il y avait 70 000 habitants, qui est engagée depuis des mois dans une bataille sanglante et une résistance ukrainienne acharnée. L’Américain Tyler Hicks suit ces tranchées depuis l’invasion russe en février 2022 pour le New York Times et montre à Bakhmout, une ville en guerre les images poignantes de ces mois interminables. « À Noël, 90 % de la population avait fui. Il ne restait plus que les plus démunis, les personnes handicapées et celles trop âgées pour se déplacer« , écrit-il à propos de l’exposition. « Les champs et la terre éventrés par les cratères et les tranchées évoquent des scènes de la Première Guerre mondiale et certains des champs de bataille les plus meurtriers d’Europe, tels Verdun et la Somme« , compare tristement l’introduction.

NANA HEITMANN/MAGNUM PHOTOS | Un prêtre orthodoxe célèbre l'enterrement de combattants de la milice Wagner à Bakinskaya, dans la région russe de Krasnodar, près de la mer Noire, le 7 février 2023
NANA HEITMANN/MAGNUM PHOTOS | Un prêtre orthodoxe célèbre l’enterrement de combattants de la milice Wagner à Bakinskaya, dans la région russe de Krasnodar, près de la mer Noire, le 7 février 2023

Le Bulgare Dimitar Dilkoff est arrivé dans le Donbass pour l’AFP en 2014, alors que la Russie avait déjà occupé une grande partie de la région. Neuf ans plus tard, Karim Talbi, rédacteur en chef Europe de l’agence, écrit que « ses traits se sont un peu creusés mais il garde le même regard espiègle », malgré les sacrifices qu’il a partagés avec les populations, les victimes des deux camps qu’il montre dans Des deux côtés de la ligne de front. « Qu’y a-t-il de commun entre une tranchée russe et une tranchée ukrainienne ? Tout. Une différence entre une cave de Mykolaïv et un abri antiaérien à Donetsk ? Aucune », conclut Talbi.

Mais le grand responsable de cette guerre n’est autre que le despote président russe, Vladimir Poutine, même si certains lui cherchent encore des justifications. Il est très précieux que la jeune photographe germano-russe Nanna Heitmann, de l’agence Magnum, documente de l’intérieur toute la propagande du régime qui continue d’envoyer des jeunes à l’abattoir avec la passivité ou la résignation de la population. Dans Guerre et paix, Heitmann capte ces célébrations glorieuses d’un passé mythifié et d’un présent falsifié à travers la télévision d’État qui réduit au silence tout média alternatif et, dans le même temps, les enterrements des soldats morts. Et de rappeler la présence disproportionnée des minorités du pays parmi les conscrits. Le plus grand nombre de victimes vient du Daghestan, une république pauvre du Caucase à la tradition martiale et à la « loyauté relative » envers Moscou. « Le pouvoir est de déchirer l’esprit humain en morceaux que l’on rassemble ensuite sous de nouvelles formes que l’on a choisies« , déclare Heitman en citant 1984 d’Orwell.

El cri des femmes iraniennes et afghanes

PHOTOGRAPHIE ANONYME | Le visage de Mahsa (Jina) Amini sur la façade d'un immeuble du quartier d'Ekbatan à Téhéran, avec le slogan Femme, Vie, Liberté, le 25 octobre 2022
PHOTOGRAPHIE ANONYME | Le visage de Mahsa (Jina) Amini sur la façade d’un immeuble du quartier d’Ekbatan à Téhéran, avec le slogan Femme, Vie, Liberté, le 25 octobre 2022

Un autre régime qui veut contrôler toutes sortes d’informations et qui utilise tous les mécanismes possibles pour s’assurer qu’il n’y a pas de versions contrastées est celui des ayatollahs en Iran. Le 16 septembre 2022, Mahsa (Jina) Amini, une jeune étudiante kurde, est morte à Téhéran après avoir été battue dans un commissariat par la police des mœurs parce qu’elle ne portait pas assez bien son foulard. À travers l’exposition collective et anonyme Révoltes en Iran. Tu ne meures pas, le festival se fait l’écho des manifestations qui ont suivi immédiatement l’annonce de sa mort dans ces circonstances. « Les agences de presse ont été saturées de photos fabriquées par le régime et, indirectement, on leur a demandé de ne pas envoyer de journalistes pour couvrir ces manifestations« , rappellent le directeur de la photographie du Monde, Nicolas Jimenez, et la photojournaliste du journal, Marie Sumalla, dans la présentation de l’exposition. C’est pourquoi Marie Sumalla et la journaliste Ghazal Golshiri, en tant que commissaires, se sont tournées vers les images que les manifestantes et manifestants ont transmises via des réseaux tels que Twitter (désormais X) et Instagram, après les avoir vérifiées avec l’aide des experts iraniens Farzad Seifikaran et Payam Elhami. Elaheh Mohammadi et Niloufar Hamedi, qui ont immortalisé les funérailles d’Amini avec leurs photos et leurs articles, sont en détention depuis septembre dernier.

EBRAHIM NOOROZI/ASSOCIATED PRESS | Une école religieuse pour filles à Kaboul restée ouverte après le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan à l'été 2021, le 11 août 2022
EBRAHIM NOOROZI/ASSOCIATED PRESS | Une école religieuse pour filles à Kaboul restée ouverte après le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan à l’été 2021, le 11 août 2022

La condition des femmes s’est encore aggravée en Afghanistan depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021. Et c’est justement le journaliste iranien Ebrahim Noroozi pour l’agence Associated Press qui a réalisé le reportage significatif Le pays le plus triste du monde et le pire pays pour les femmes. Selon le sondage annuel Gallup sur les émotions dans le monde, l’Afghanistan est devenu le pays ayant le plus faible niveau d’émotions positives au cours des seize dernières années. Un Afghan sur quatre a évalué sa vie à zéro et quatre sur dix ont répondu qu’ils ne s’attendaient pas à autre chose qu’à ce niveau d’émotion dans les cinq prochaines années. Cette situation est le résultat d’une politique américaine catastrophique dans la région et d’un régime taliban qui s’est avéré encore plus répressif à l’égard de la population féminine que ce que l’on pouvait craindre. Sur le plan économique, le pays est en si mauvais état que la moitié de la population souffre de la faim et Save the Children estime que, dans un foyer sur deux, les enfants doivent travailler pour qu’on mange. Les images choquantes de Noroozi montrant des enfants fabriquant et transportant des briques en sont la preuve.

La croisades ultra-conservatrice aux EEUU

STEPHANIE SINCLAIR | Catrina Rainey et sa famille, un mois avant de donner naissance à des jumeaux, dont l'un est atteint d'une grave malformation cérébrale, dans une clinique de Cleveland, dans l'Ohio, en août 2022. Pour ne pas compromettre la vie de l'autre jumeau, Catrina a décidé d'avorter le fœtus. Il s'agissait de l'une des dernières opérations de ce type dans l'Ohio, avant que la loi de l'État ne l'interdise
STEPHANIE SINCLAIR | Catrina Rainey et sa famille, un mois avant de donner naissance à des jumeaux, dont l’un est atteint d’une grave malformation cérébrale, dans une clinique de Cleveland, dans l’Ohio, en août 2022. Pour ne pas compromettre la vie de l’autre jumeau, Catrina a décidé d’avorter le fœtus. Il s’agissait de l’une des dernières opérations de ce type dans l’Ohio, avant que la loi de l’État ne l’interdise

Nous avons déjà évoqué l’exposition Le passé n’est jamais mort, réalisée par Mark Peterson pour l’agence Redux Pictures, sur le néofascisme aux États-Unis. Peterson l’a inaugurée par une citation de William Faulkner : « le passé n’est jamais mort ; Il n’est même jamais passé« . Un bon exemple en est le verdict de la Cour suprême des États-Unis dans l’affaire Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, rendu en juin 2022, dans lequel les juges ont supprimé le droit fédéral à l’avortement qui existait depuis 1973. Dès lors, il revient à chaque État de légiférer sur la question. Dans l’Ohio, comme dans une douzaine d’autres États, l’interdiction de l’avortement a été immédiatement activée dès qu’une activité cardiaque est détectée chez le fœtus. Cela rend l’avortement presque impossible. La photographe américaine Stephanie Sinclair, qui documente la vulnérabilité des femmes dans le monde depuis plus de vingt ans, a passé deux semaines en août dernier à suivre des femmes et des médecins dans une clinique de Cleveland pour le New York Times Magazine, à l’origine du reportage Grossesses à haut risque après l’arrêt Dobbs. Elle y a vu comment les femmes étaient confrontées à des décisions que la loi avait radicalement conditionnées et le personnel, qui prenait le risque de les conseiller sur les alternatives possibles. Un combat contre l’héritage laissé par Trump dans une Cour suprême ultra-conservatrice.

DARCY PADILLA/AGENCE VU' | Une femme près de la 6e rue à San Francisco, où elle a un endroit pour dormir avec d'autres amis et où ils gagnent leur vie en vendant des cartes postales qu'ils fabriquent eux-mêmes
DARCY PADILLA/AGENCE VU’ | Une femme près de la 6e rue à San Francisco, où elle a un endroit pour dormir avec d’autres amis et où ils gagnent leur vie en vendant des cartes postales qu’ils fabriquent eux-mêmes

L’envers du rêve américain, c’est aussi les sans-abri qui, paradoxalement, se concentrent en Californie, considérée comme la cinquième puissance économique mondiale. En 2022, ils étaient officiellement plus de 115 000, mais on pense qu’ils sont deux fois plus nombreux. Dans le quartier Skid Row des gratte-ciel à Los Angeles, à San José, à Sacramento, à Oakland, à quelques centaines de mètres des campus d’Apple, de Google ou de Facebook. L’Américaine Darcy Padilla, pour l’agence VU’, y a puisé son ironique California Dreamin’. Avec les visages et les noms de ces personnes qu’elle suit depuis la crise financière de 2008 puis covid et qui ne peuvent accéder à un marché immobilier hors de prix.

Pourtant, des villes comme San Francisco continuent d’attirer des jeunes qui se reflètent dans la Silicon Valley des grandes entreprises technologiques. Une autre Américaine, Laura Morton, voit le côté positif sans cacher les contradictions dans Wild West Tech. De la ruée vers l’or du 19e siècle aux nouvelles promesses de l’intelligence artificielle au 21e siècle. L’arrivée du programme ChapGPT, de la société californienne OpenAI, ne date que de la fin de 2022. Mais la lauréate du Prix Pierre & Alexandra Boulat de l’année dernière pour ce projet explique que depuis janvier, toute une communauté de start-ups travaille sur l’intelligence artificielle et plusieurs soirées sont organisées chaque jour pour développer ce que l’on appelle l’IA générative. Il nous montre des images plus festives que compétitives et se veut optimiste : « de nombreux experts considèrent cette révolution technologique comme historique, au même titre que l’émergence des ordinateurs personnels ou d’Internet« . En d’autres termes, soit nous nous faisons à ce qui arrive, soit nous succombons.

Sang blanc et invocation chamanique

MADS NISSEN/POLITIKEN/PANOS PHOTOS POUR LE FIGARO MAGAZINE ET FT MAGAZINE (FINANCIAL TIMES) | Ariel Albeiro Muñoz, 19 ans, cueille des feuilles de coca dans les montagnes près de Pueblo Nuevo, dans le nord de la Colombie. Il gagne deux fois plus que dans la cueillette des grains de café
MADS NISSEN/POLITIKEN/PANOS PHOTOS POUR LE FIGARO MAGAZINE ET FT MAGAZINE (FINANCIAL TIMES) | Ariel Albeiro Muñoz, 19 ans, cueille des feuilles de coca dans les montagnes près de Pueblo Nuevo, dans le nord de la Colombie. Il gagne deux fois plus que dans la cueillette des grains de café

Autre revers de la médaille lié au mode de vie aux États-Unis et en Occident en général, est le trafic de cocaïne qui, malgré toutes les opérations anti-drogue, ne cesse de croître car la consommation est en hausse. Dans Sangre Blanca : la guerre perdue contre la cocaïne pour les journaux Politiken, Le Figaro Magazine et FT Magazine et l’agence Panos Pictures, le journaliste danois Mads Nissen fait remonter ce cercle vicieux aux origines des plantations de feuilles de coca en Colombie, qui n’ont jamais été aussi nombreuses de la part du premier producteur mondial. « Le trafic de stupéfiants est aujourd’hui la plus grande économie illégale du monde, avec pour conséquences la corruption, l’absence de développement et des taux d’homicides dramatiquement élevés, en particulier en Amérique latine« , prévient Mads Nissen dans sa présentation, ajoutant que « des sociétés et des pays entiers sont déstabilisés à mesure que les cartels consolident leur pouvoir« . Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le pays voisin, l’Équateur, et sa récente campagne présidentielle sanglante. Ce circuit dépeint par le Danois, qui va des plantations aux aéroports et aux sous-marins qui transportent secrètement la marchandise, en passant par les laboratoires et les inévitables gangs, fait réfléchir Nissen sur la nécessité d’une légalisation contrôlée, comme le réclament de plus en plus de dirigeants latino-américains face à l’échec de la politique américaine de destruction des champs.

En guise de rétrospective, avec Mes années Visa l’événement rend hommage à l’Italien Paolo Pellegrin, l’un des membres les plus éminents de l’agence Magnum après avoir travaillé pour Grazia Neri et VU’. En contact avec la manifestation perpignanaise depuis 1992, avec une exposition sur les sans-abri de Rome que le grand vent de la tramontane avait emportée, Pellegrin n’a cessé de retourner au festival. Il a présenté des expositions sur le sida en Ouganda, le Cambodge, le Kosovo, sur l’ouragan Katrina en Louisiane et sur la diaspora irakienne. Et on a vu de lui des projections sur la Bosnie, l’Albanie, l’Algérie, le Rwanda, le choléra en Ouganda, le Liban, le Darfour et Gaza. « C’est un photographe qui a une véritable empathie pour son sujet« , se félicite Jean-François Leroy, directeur de Visa. « Il voit les gens souffrir et souffre avec eux, et cherche à attirer notre attention sur ces victimes de crises ou de conflits« .

NATALYA SAPRUNOVA/ZEPPELIN/LAURÉATE DE LA BOURSE CANON DE LA FEMME PHOTOJOUNALISTE 2022 | Un Evenk, originaire de Yakoutie, en Russie, demande aux esprits, lors d'un rituel chamanique à Oymyakon, en Sibérie, de préserver le froid et les anticyclones qui régulent les températures de la planète
NATALYA SAPRUNOVA/ZEPPELIN/LAURÉATE DE LA BOURSE CANON DE LA FEMME PHOTOJOUNALISTE 2022 | Un Evenk, originaire de Yakoutie, en Russie, demande aux esprits, lors d’un rituel chamanique à Oymyakon, en Sibérie, de préserver le froid et les anticyclones qui régulent les températures de la planète

Pour conclure ce tour d’horizon étouffant et trouble de notre monde, nous choisissons une image plus spirituelle et optimiste prise aux confins de la Russie, où une certaine virginité subsiste. Les Evenks sont un peuple nomade du nord de l’Asie, qui occupe depuis des siècles un vaste territoire allant de l’extrême est de la Sibérie à la Chine, accompagnés de ses rennes. On les appelait les aristocrates de Sibérie. Ce sont eux qui ont conduit les prospecteurs russes à travers cette région accidentée jusqu’à ses richesses souterraines et qui ont participé au développement industriel de l’Union soviétique. Aujourd’hui, la Russie est le troisième producteur mondial d’or et un tiers des diamants du monde sont extraits en Yakoutie. Cette situation met en péril leur habitat naturel et leur survie en tant que peuple. La Russe Natalya Saprunova, grâce au prix Bourse Canon de la Femme Photojournaliste de l’année dernière, a pu réaliser le reportage Evenks, les gardiens des richesses yakoutes. Enfin, nous avons choisi la photo d’un homme d’origine evenke, Edouard, qui revendique des dons chamaniques et qui, à Oymyakon, à mille kilomètres à l’est d’Irkoutsk, demande aux esprits de préserver le froid et les anticyclones de la région afin de réguler les températures de la planète.

Visa pour l’Image 2023 : expositions en accès libre à Perpignan du 2 au 17 septembre de 10h à 20h. Du 4 au 9 septembre, semaine professionnelle et projections en soirée au Campo Santo. Sur l’Esplanade de la Villette à Paris, du 16 au 30 septembre, une sélection du festival avec deux projections à la Grande Halle les 22 et 23 septembre à 20h. En ligne, la plupart des expositions du 2 au 30 septembre / Affiche du Visa pour l’Image 2023, avec une photographie anonyme d’une manifestation le 26 octobre 2022 à Saqquez, la ville du Kurdistan iranien de Masha(Jina) Amini, qui a été tuée un mois plus tôt à Téhéran par la police parce qu’elle ne portait pas correctement son voile.

 

 

 

VISA D’OR NEWS 2023

VICENÇ BATALLA | Le photojournaliste italo-britannique Siegfried Modola a reçu le Visa d'Or News 2023 pour son reportage <em>La révolution armée en Birmanie</em> pour le journal canadien <em>The Globe and Mail</em>, dans lequel il suit les guérilleros indépendantistes du peuple Karenni, à la frontière avec la Thaïlande, auquel s'est uni le nommé Gouvernement en exile contre la junte militaire
VICENÇ BATALLA | Le photojournaliste italo-britannique Siegfried Modola a reçu le Visa d’Or News 2023 pour son reportage La révolution armée en Birmanie pour le journal canadien The Globe and Mail, dans lequel il suit les guérilleros indépendantistes du peuple Karenni, à la frontière avec la Thaïlande, auquel s’est uni le nommé Gouvernement en exile contre la junte militaire

 

 

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