Vagina Dentata Organ dans le centenaire du surréalisme

JULIAN HAWKINS | L'artiste catalan Jordi Valls, factotum du projet musical Vagina Dentata Organ
JULIAN HAWKINS | L’artiste catalan Jordi Valls, factotum du projet musical Vagina Dentata Organ

SANTI PALOS. Un corps à moitié nu dansant autour d’une croix posée sur le sol, un violon à la mélodie lancinante, treize tambours au rythme hypnotique et ancestral, des images de l’anachiste Orsini, des sons de l’album The Last Supper, destruction de verre : autant d’éléments de la performance-rituel qui, le 17 avril 2013, a ouvert la rétrospective complète du cinéaste Albert Serra (et purifié l’écran) au Centre Pompidou, à Paris. Il s’agissait d’une action en direct de Vagina Dentata Organ, le projet artistique que Jordi Valls – catalan vivant à Londres – avait lancé trente ans plus tôt avec la sortie du LP Music for the Hashishins in Memoriam of Hasan-i Sabbah (face A : Trained to Kill ; face B : Sexual ; dans tous ses sillons, des sons de chiens, entraînés à tuer et à copuler). Le premier de ses albums sur …. non-musique ? art sonore conceptuel ? ready-mades ? Ou peut-être, simplement, fondamentalement, surréalisme.

Jordi Valls (Barcelone, 1945) n’a jamais caché son intérêt et ses affinités avec ce mouvement qui recherchait l’obscurité révélatrice d’un autre univers, et sa volonté de continuer à l’explorer. C’est pourquoi sur le dernier album de Vagina Dentata Organ (VDO), Irene’s Cunt – inspiré du roman érotique du même nom de Louis Aragon (1897-1982) Le Con d’Irène, un hommage au grand intellectuel du surréalisme et aussi, on peut le supposer, un hommage secret à la compagne de l’auteur -, dans l’aspect sonore, une succession d’applaudissements étranges – présentés dans un sachet en aluminium fermé (comme les revues pornographiques des années 1970), un objet de la vie quotidienne qui permet le passage à la vie fantastique – nous apparaît comme la bande sonore la plus souhaitable pour traverser la grande exposition avec laquelle le Pompidou à Paris commémore le centenaire de ce que fût le grand saccage des arts, des esprits et des consciences.

CENTRE POMPIDOU | La salle circulaire à l'entrée de l'exposition Surréalisme au Centre Pompidou à Paris, avec sur la table les pages manuscrites d'André Breton du Manifeste du Surréalisme, publié en 1924, et en arrière-plan un montage d'images de l'époque avec la porte du cabaret L'Enfer à Montmartre, où Breton avait son atelier au quatrième étage
CENTRE POMPIDOU | La salle circulaire à l’entrée de l’exposition Surréalisme au Centre Pompidou à Paris, avec sur la table les pages manuscrites d’André Breton du Manifeste du surréalisme, publié en 1924, et en arrière-plan un montage d’images de l’époque avec la porte du cabaret L’Enfer à Montmartre, où Breton avait son atelier au quatrième étage

Son acte de naissance fut le Manifeste du surréalisme, écrit à la main par André Breton (1896-1966) et publié le 15 octobre 1924, dont le manuscrit original (l’un des trésors de la Bibliothèque nationale de France, exposé pour la première fois dans son intégralité) est le cœur de Surréalisme (4 septembre-13 janvier).

ARCHIVE | Couverture du livre d'André Breton, <em>Poisson soluble</em>, qui contient en préface le <em>Manifeste du surréalisme</em>, publié le 15 octobre 1924
ARCHIVE | Couverture du livre d’André Breton, Poisson soluble, qui contient en préface le Manifeste du surréalisme, publié le 15 octobre 1924

Un centenaire et une exposition qui interviennent à un moment où les ismes hégémoniques dans l’état des sociétés et des consciences de sapiens (techno capitalisme de surveillance, présentisme, âgisme, adamisme, consumérisme, automatisme, néolibéralisme, fondamentalismes de toutes sortes) rendent plus nécessaire que jamais de se pencher à nouveau sur cet isme qui s’est présenté au monde en chargeant contre « l’attitude réaliste », « résultat de la médiocrité, de la haine et du sentiment vide de suffisance », dont elle voulait libérer l’être humain en redécouvrant « certaines formes d’association jusqu’alors ignorées, la toute-puissance du rêve, le jeu désintéressé de la pensée ». Nostalgie pour le surréalisme (ou pour le moment d’espoir dans lequel il a émergé) ? Sa présence et son appréciation se sont maintenues et même accrues dans certaines zones du monde culturel européen au cours des dernières années, avec des expositions et une augmentation des prix des artistes. Il y a deux ans, L’Empire des lumières, de René Magritte, a battu le record de l’œuvre la plus chère jamais vendue aux enchères en Europe, avec près de 80 millions de dollars.

Mais le surréalisme est devenu faussement et fatalement, pour le public ordinaire, pour les jeunes, un mot synonyme d’absurdité, d’excentricité, le cliché d’un art vide de sens qui ne cherche qu’à épater, l’image du dernier Dalí dans la caricature du personnage qui avait été créée pour les médias. C’est pourquoi le centenaire et sa grande exposition arrivent à point nommé, providentiels aussi dans leur conception comme un labyrinthe (« nous sommes enfermés dans un labyrinthe et nous pouvons trouver notre propre chemin si nous nous transformons en labyrinthe », écrivait Dalí dans la Déclaration de l’indépendance de l’imagination et des droits de l’homme à sa propre folie, en 1939).

Ainsi que dans la reconstruction par l’intelligence artificielle (et l’imitation de l’acteur Hughes Jordain) de la voix de Breton lisant le Manifeste du surréalisme, en remplacement d’un enregistrement original inexistant. Rappelons que Breton avait anticipé ce manifeste surréaliste dans une célèbre conférence à l’Ateneu Barcelonès, Caractères de l’évolution moderne et ce qui en participe, le 17 novembre 1922, la veille du jour où son ami Francis Picabia (1879-1953), avec lequel il était arrivé en train de Paris, inaugurait une exposition de 47 dessins aux galeries Dalmau, rue de Portaferrissa.

‘Irene’s Cunt. A Tribut to Louis Aragon’

ARCHIVE | Couverture du conte érotique Le Con d'Irène, de Louis Aragon, publié en 1928 sans le nom de l'auteur et de l'éditeur René Bonnel
ARCHIVE | Couverture du conte érotique Le Con d’Irène, de Louis Aragon, publié en 1928 sans le nom de l’auteur et de l’éditeur René Bonnel

Irene’s Cunt. Erotic Masterpiece. A Tribut to Louis Aragon, par VDO, est peut-être, aujourd’hui, le dernier maillon du lien entre Louis Aragon et la Catalogne. Les premiers se trouvent dans les revues culturelles et d’avant-garde catalanes des premières décennies du XXe siècle (une atmosphère d’effervescence et une connexion internationale qu’il est aujourd’hui difficile d’imaginer). En octobre 1920, le bimensuel La Revista, dirigé par Josep Maria López Picó, publie le poème d’Aragon Lever, traduit par Josep Maria Millàs i Raurell. Mais « totalement déstructuré du point de vue du contenu – phrases échangées ici et là, vers qui ressemblent à l’original mais manquent de sens… – tout en conservant la fidélité de la distribution spatiale », il en résulte « une composition qui respecte l’image de l’original, mais totalement éloignée de son intentionnalité argumentative, voire totalement inintelligible », note Lourdes Rubio dans Imatges i paraules : poesia visual catalana a la primera avantguarda (Images et mots : la poésie visuelle catalane à la première avant-garde ; UOC, 2010). Dans le numéro suivant, La Revista « reproduit le poème d’Aragon parfaitement traduit et avec une fidélité absolue et parle de l’avalanche de félicitations reçues depuis la première publication ». De l’humour surréaliste, à n’en pas douter.

Dès octobre 1918, le numéro 4-5 de L’Instant. Revue franco-catalane d’art et littérature, dirigée par Joan Pérez Jorba à Paris, avait publié, en français, Vie de Jean Baptiste A, un poème d’Aragon, alors âgé de 21 ans. On trouve diverses mentions d’Aragon dans des journaux et revues de l’époque comme La Publicitat, La Veu de Catalunya, La Mà Trencada, Joventut Catalana, Quatre Coses, D’Ací d’Allà, L’Amic de les Arts: Gaseta de Sitges, La Nova Revista.

Aragon (qui avait écrit son propre manifeste, Une vague de rêves, deux mois avant celui de Breton) est l’un des vingt et un noms « des grands artistes d’aujourd’hui, dans les tendances et les catégories les plus diverses », qui clôturent le Manifest groc (Manifeste jaune) de mars 1928, dont les artistes sont « revendiqués » par leurs auteurs, Salvador Dalí, Lluís Montanyà et Sebastià Guasch. Dalí (1904-1989), en tout cas, devait déjà avoir entendu parler du poète surréaliste des années auparavant. En avril 1925, Aragon donne une conférence à la Residencia de Estudiantes de Madrid. Les détails concernant les organisateurs et les participants n’ont jamais été entièrement élucidés, mais certains suggèrent qu’il s’agit d’une initiative de Dalí, Lorca et Buñuel (d’autres non, car ces deux derniers n’étaient pas à Madrid ce jour-là). Le fait est que l’impression du public fut plutôt l’incompréhension face à cette conférence, qui s’avéra être l’un des textes les plus radicaux et subversifs de l’histoire du surréalisme. Aragon proclame que « nous mettrons fin à tout. Et d’abord nous détruirons cette civilisation qui vous est si chère, dans laquelle vous êtes moulés comme des fossiles dans du minerai. Monde occidental, tu es condamné à mort. Nous sommes les défaitistes de l’Europe. Que l’Orient, votre peur, réponde enfin à notre appel ».

Quoi qu’il en soit, ce sera Dalí, avec ses lumières et ombres, qui fera la connaissance d’Aragon a bout de quelques années, avec Luis Buñuel, dans un café de Montmartre, alors qu’ils préparent Un chien andalou (1929), et c’est Aragon qui qualifiera le film de surréaliste en tout état de cause. Aragon et Dalí ont cependant toujours eu une antipathie réciproque l’un pour l’autre. Logique : ils étaient les chefs de file des deux voies parallèles du mouvement, qui avaient du mal à converger. Pour Aragon, qui abhorrait l’exhibitionnisme et les excentricités de Dalí, le surréalisme devait être au service de la révolution politique ; pour Dalí, de l’exploration des forces de l’inconscient et de l’extase (et aussi, personnellement, à la longue, de la commercialisation de l’œuvre d’Avida Dollars).

Témoin de la Retirada (de Perpignan, il envoyait ses chroniques de l’exode républicain au journal Ce soir), Aragon eut toute sa vie un faible pour l’Espagne, analysé en détail dans le livre très recommandé Louis Aragon y España (Edicions de la Universitat de Lleida, 2014), de Pere Solà Solé, à qui nous devons une dette (que nous ne paierons pas) pour les dates extraites dans cet article. La dernière fois qu’Aragon franchit les Pyrénées, c’est à l’occasion de l’hommage que, avec la participation de son ami et poète Rafael Alberti, l’Alliance française de Sabadell lui organise dans cette ville le 14 mars 1980.

Jordi Valls, punk avant la lettre

ARCHIVE | Numéro 10 du fanzine <em>Kata</em> de 1982, avec Jordi Valls en couverture comme l'un des contributeurs à la Come Oganisation du power electronics Whitehouse
ARCHIVE | Numéro 10 du fanzine Kata de 1982, avec Jordi Valls en couverture comme l’un des contributeurs à la Come Oganisation du power electronics Whitehouse

Publié pour la première fois clandestinement (sans nom d’auteur ni d’éditeur) en 1928, apparemment inspiré pour la relation entre la poétesse anglaise Nancy Cunard et Aragon, qui en a longtemps nié la paternité, Le Con d’Irène, exaltation des joies du sexe féminin incarné par la reine d’un bordel de province, fut pour Albert Camus « la plus belle de toutes les œuvres liées à l’érotisme ». Àlex Susanna, disparu cette année, en a fait la traduction catalane, publiée chez Laertes en 1978 et finalement clandestine : c’est un livre très difficile à localiser, qui est devenu un Graal pour les bibliophiles de la curiosité catalane. Et Jordi Valls en a fait ce qui pourrait être la production la plus récente de Vagina Dentata Organ.

Valls, qui dès son enfance était fasciné par Dalí (il remplissait ses cahiers d’école de son nom et de dessins imitant ses peintures), et qui a déclaré que le dualisme Eros et Thanatos sont les influences qui le suivent en importance, a dû se sentir attiré par l’idée d’incorporer Le Con d’Irène dans sa métaphysique musicale, selon l’expression de l’écrivain Carles Hac Mor, peut-être la personne qui a le mieux su interpréter la crue poétique de VDO. Valls, son factotum, est devenu une figure mythique de l’art catalan le plus transgressif, lié à l’avant-garde et, en même temps, aux limites de la culture rock.

On pourrait faire une génération de tous ceux qui, un jour de 1977, étions devant la télévision espagnole et regardions le reportage d’Informe Semanal (Rapport hebdomadaire) sur le punk londonien et Valls apparaissait, incontournable dans sa bouche, et disait que « les punks sortent des cités, de la frustration, et tout cela. Ensuite, ici, Chelsea, King’s Road, c’est de la merde, tout est commercialisé ». L’équipe d’Informe Semanal l’a rencontré par hasard à Portobello. Le hasard, facteur si précieux pour les surréalistes, a joué un rôle dans sa biographie : croiser Mick Jagger dans la rue, alors que les Rolling Stones n’avaient sorti que des singles, et parler du moment où ils sortiraient leur premier LP, ou avec Genesis P-Orridge (1950-2020), au début de Throbbing Gristle (TG), alors qu’il allait chez le coiffeur, et avec qui il serait ami jusqu’à sa disparition.

Ce jour-là, nous avons commencé à connaître Valls, qui était depuis quelques années une figure aussi nébuleuse que le brouillard londonien. Peu après, dans l’émission Popular 1 de Radio Barcelona, on parlait d’un jeune punk barcelonais qui vivait à Londres, ami des Sex Pistols, et qui caressait l’idée de former un groupe punk chantant en catalan et en espagnol. Jusqu’à une date relativement récente, on ne savait rien de Valls avant le punk. C’est dans les interviews les plus récentes qu’il a expliqué que c’est en 1963, à l’âge de dix-sept ans, qu’il s’est installé à Londres, vivant dans une chambre à Soho et travaillant dans un entrepôt de vin (il y a un facteur d’art prolétarien à VDO), et qu’à partir de ce moment-là, dans la capitale britannique, il a tout vu et tout vécu : la fin de la beat generation, la montée du Swinging London (des Rolling Stones, des mods, des dance-halls), le psychédélisme, le hippisme, le reggae, et en août 1976, c’est en voyant les Sex Pistols, les Clash et les Buzzcocks le même soir, dans un cinéma de quartier, qu’il s’est rendu compte que quelque chose de nouveau, de frais et de puissant était en train d’émerger.

De Throbbing Gristle à Whitehouse

ARCHIVE | Image de la performance de Jordi Valls le 16 octobre 1984 dans l'émission <em>La edad de oro</em> de la télevision espagnole, dans laquelle Valls apparaît en tant que Vagina Dentata Organ lors d'une émission avec Genesis P-Orridge de Psychic TV
ARCHIVE | Image de la performance de Jordi Valls le 16 octobre 1984 dans l’émission La edad de oro de la télevision espagnole, dans laquelle Valls apparaît en tant que Vagina Dentata Organ lors d’une émission avec Genesis P-Orridge de Psychic TV

Toujours à la recherche des meilleurs explorateurs des frontières créatives, Valls se lie d’amitié et collabore avec les industriels TG (après Psychic TV) et la Come Organisation de Whitehouse. Et un peu à la manière de Lluís Racionero, qui a été au cœur du hippisme (en Californie, entre 1968 et 1970) et a ensuite diffusé ses découvertes à Barcelone, Valls commence à publier des textes sur ce qu’il a vu et vécu à Londres dans des articles pour des revues barcelonaises (Star, Sal Común, Fuera de Banda) et des chroniques pour Radio Pica, organise une audition de Whitehouse dans la salle La Orquídea et la projection du film After Cease to Exist de Throbbing Gristle à la Cinémathèque de Catalogne ainsi que le frustré Expérience Musicale Urbaine des 80’s. Ce festival, annulé à la dernière minute, devait inaugurer une nouvelle ère musicale, le premier jour de la nouvelle décennie, sur une place du quartier de Guinardó, avec des prestations de Último Resorte, Lemo, Clinic Humanoides, 1984, Decibelios et Grisáceo y la Orquesta del Aburrimiento, ainsi que le film TG et une prestation de Valls avec des perceuses, une idée qui annonçait déjà ce que seraient les lives de la VDO.

En 1982, Whitehouse sort son septième LP, l’excellent Psychopathia Sexualis. La première face comprend sept courts morceaux, chacun dédié à un tueur psychopathe, tous introduits par le narrateur de l’album, Valls, qui récite des données biographiques, moitié en espagnol, moitié en catalan, parmi ces derniers Edward Paisnel. Une réédition de Psychopatia Sexualis restaurée numériquement à partir d’un exemplaire jamais reproduit de l’édition originale a été publiée en cette année 2024.

PTV sortent en 1983 leur deuxième LP, Dream Less Sweet, et la surprise est qu’il est accompagné d’un maxi avec le titre Catalan : Valls y récite des extraits expliquant comment des chauffeurs de camion l’ont pris en charge après un accident de la route survenu l’année précédente, avec l’environnement sonore de PTV, et le résultat est un morceau classique de psychédélisme post-industriel qui est encore capable d’hypnotiser l’auditeur aujourd’hui. Sur le même maxi, on trouve The Full Pack, un titre aux sonorités de chien-loup qui incarnent « la grande bête ». Valls était en studio lorsque PTV l’a enregistré. Genesis lui a demandé ce qu’il en pensait et Valls a répondu qu’il aimait simplement le son de la bête. « Je ferais bien un album avec la bête », a-t-il ajouté. Genesis a répondu : « Voici le studio, fait-le ». C’est ainsi qu’est né Music for the Hashishins. In memoriam of Hasahn-i Sabbah, de Vagina Dentata Organ et du label maison WSNS.

L’âge d’or à Cadaqués

ARCHIVE | L'album objet Irene's Cunt de Vagina Dentata Organ, de Jordi Valls, publié et emballé en 2017 avec un sac en aluminium et inspiré du conte érotique Le Con d'Irène de Louis Aragon
ARCHIVE | L’album objet Irene’s Cunt de Vagina Dentata Organ, de Jordi Valls, publié et emballé en 2017 avec un sac en aluminium et inspiré du conte érotique Le Con d’Irène de Louis Aragon
ARCHIVE | La quatrième de couverture de l'album Irene's Cunt. A Tribute to Louis Aragon, par Vagina Dentata Organ
ARCHIVE | La quatrième de couverture de l’album Irene’s Cunt. A Tribute to Louis Aragon, par Vagina Dentata Organ

La prochaine date clé pour la VDO est le 16 octobre 1984. Ce soir-là, la télévision espagnole diffuse le célèbre programme historique La edad de oro (L’Âge d’or), avec Psychic TV. Devant les yeux ébahis des téléspectateurs de l’époque, on a projeté le court métrage-clip vidéo de Catalan (tourné expressément par le cinéaste Derek Jarman sur la plage de Port Lligat, du cap Creus et du parc Güell à Barcelone) et Moonchild de PTV, une interview troublante de Genesis P-Orridge, un concert de Psychic TV et, pour finir, la première performance de VDO, dans laquelle Valls, cagoulé, entouré de chiens-loups en chaleur et au son des tambours de Calanda, a planté une katana dans des tableaux du peintre Francesc Casademont, d’où le sang jaillissait. L’émission a soulevé beaucoup de bruit et l’indignation de l’Espagne rance : y compris un procès contre la présentatrice et directrice, Paloma Chamorro, pour un prétendu délit de « profanation » (dont, six ans plus tard, elle a été acquittée et l’avocat du plaignant condamné à payer les frais de justice).

Depuis, Vagina Dentata n’a cessé de produire (en évitant toutefois la tentation de l’incontinence de certains artistes et musiciens) et d’étendre son univers particulier. Cela fait plus de quatre décennies de disques et de performances. Music for the Hashishins a été essentiellement suivi par The Last Supper (1984, avec l’enregistrement des dernières minutes du suicide collectif de la secte People’s Temple) ; The Triumph of the Flesh (1984, avec l’enregistrement des tambours de Calanda) ; Cold Meat (1987, picture-disc avec les visages des cadavres d’Elvis Presley et de Marilyn Monroe, et des sons d’orgasmes et de palpitations de mort) ; Un chien catalan (1994, soixante-dix minutes du son de la moto Harley de l’acteur Eliseu Huertas roulant sous la tramontane) ; The Perpignan Killings (2002, quelque chose qui ressemble à un mégamix de ce qui précède), The Great Masturbator (2004, une heure de carillons à la mémoire de Dalí) ; Music for the Blind (2007, avec quatre versions du compositeur Enrico Toselli (1883-1926) avec violons de sa grande mélodie bien connue Serenata, que Dalí voulait qu’on lui joue lorsqu’il entrait dans le restaurant Maxim’s à Paris) ; Live in Berlin (2012) ; et Irene’s Cunt (2017).

« Faits ce que tu veux, mais je te recommande de ne pas l’ouvrir », m’a dit Valls en me tendant le sachet d’aluminium contenant Irene’s Cunt, avec la générosité (un autre facteur non identifié du substrat de la VDO, et du surréalisme) qui le caractérise également, un matin lumineux, devant la maison du village de Cadaqués, alors que du coin de l’œil droit il voyait le paysage qui avait inspiré Dalí, et se souvenait de ce que Breton avait écrit dans un éditorial de la revue Révolution surréaliste : «  Si les mots ‘Révolution surréaliste’ laissent le plus grand nombre sceptiques, du moins ne nous dénie-t-on d’une certaine ardeur et le sens de quelques possibles ravages ».

MAX ERNST | Le tableau L'ange du foyer (Le triomphe du surréalisme), peint par Max Ernst en 1937 comme une allégorie de la monstruosité du franquisme, qui sert d'affiche à l'exposition Surréalisme au Centre Pompidou à Paris
MAX ERNST | Le tableau L’ange du foyer (Le triomphe du surréalisme), peint par Max Ernst en 1937 comme une allégorie de la monstruosité du franquisme, qui sert d’affiche à l’exposition Surréalisme au Centre Pompidou à Paris

Documentaire Révolutions du surréalisme, de Sylvane Bergère, en deux parties à Arte télévision (jusqu’au 7 décembre 2024)

 

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